AD VITAM AETERNAM


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Les premières pages du livre:

Préface

Will, 21 ans, Los Angeles:

Adossé contre le mur d'un des bâtiments formant la ruelle sombre qui m'abrite, une jambe droite et un genou replié sur lequel reposent mes mains molles et sans forces, symbole même de ma lassitude de cette vie, je ressasse depuis des heures déjà les amères pensées qui m'envahissent. J'ai l'impression que c'est la fin. La fin de quoi? De qui plutôt. Je suppose que ça doit sans doute être la mienne. La drogue a l'air de faire son effet, elle m'embrouille déjà le cerveau; je ne raisonne plus comme je le devrais... Mais qu'est-ce qu'un raisonnement de toute façon? Rien de plus qu'une stupide règle humaine qui dit que l'on doit organiser ses pensées, chercher à les structurer. Voilà notamment une des raisons qui fait que j'aime la drogue: je me fous de répertorier ce qui se déroule dans ma tête et rien n'est plus chaotique que tout ce qui me traverse l'esprit à cents kilomètres heure lorsque, défoncé, je m'évade. Ce n'est certainement pas ainsi que tout aurait dû se finir. Certainement pas non. Ma vie avait tout pour être parfaite. Mais il semble y avoir dans ce monde quelques personnes pour qui le bonheur ne revêt à priori aucune espèce d'importance, et qui n'a apparemment pas même l'air d'être un but en soi. Je suppose que je fais partie de ces personnes. Combien sommes-nous donc sur cette terre à rêver de choses inatteignables, quand nous devrions déjà essayer de ne pas laisser filer ce que nous avons déjà? J'avais le bonheur sous les yeux, je pouvais le toucher de mes mains, sentir son parfum, le goûter, le ressentir dans chaque fibre de mon être et j'ai tout abandonné... qui plus est, pour des chimères. Des chimères d'enfant qui croyait pouvoir tout avoir... Lentement, j'approche la drogue de mon nez. Voilà où j'en suis réduis. A cet état où la violence intérieure doit devenir physique pour s'exorciser; où les larmes n'existent plus et laissent ainsi place à un oubli le plus total de son âme dans un subtil mélange de produits naturels arrangés par les Hommes pour s'échapper de leur insupportable condition de mortels... J'inspire jusqu'à ce que tous les infimes grains de la merveilleuse substance remplissent le vide qui m'habite. Des bruits soudain me font sursauter -du moins esquisser un faible mouvement. Ce ne sont que des chats de gouttière. Se battant dans les énormes conteneurs qui me cachent de la rue principale, ils m'entourent d'étranges échos qui résonnent de manière effrayante dans la nuit noire. Mais je n'ai pas peur, puisque je ne ressens plus rien. La coke chasse la peur. La coke chasse tout. Surtout la réelle et magnifique sensation de l'existence. Si l'on y réfléchit, je suis un peu pareil à ces chats. Sortir la nuit, tout en restant isolé, camouflé de l'espèce humaine, eux comme moi pour échapper à la pitié que nous ne pourrions plus inspirer et aux coups que nous ne manquerions pas de prendre. Pendant qu'eux profitent de ce court sursis pour se nourrir de misérables déchets, je nourris mon corps déjà ravagé d'un détritus pire que les leurs. Eux régénèrent leurs corps, moi je détruis mon esprit pour le renforcer. Eux pour vivre, moi pour survivre -mais c'est du pareil au même... L'esprit embrumé, je jette enfin un coup d'œil à mon environnement. C'est dingue la puanteur qui émane de ces poubelles... Je ne m'en étais pas rendu compte avant, mes sens étant annihilés par le début de drogue envahissant mon cerveau, mais j'en suis maintenant à la phase où elle déculpe toutes les perceptions que je peux avoir -beaucoup moins agréable lorsque l’on cherche à s'oublier. C'est pourquoi tous les drogués en arrivent irrévocablement au même point: augmenter les doses. Au moins pour ce qui me concerne, c'est là tout l'intérêt de la chose. Oublier, s'oublier, m'oublier... J'en reprends une dose, en quantité plus grande cette fois. Je ne veux plus penser, je ne veux plus ressentir la douleur et la peine qui me déchirent... Des images du passé me reviennent et se dessinent dans l'ombre du mur qui me fait face. Andréas... Non! Je ne veux pas, il est impossible de souffrir à ce point laissez-moi, laissez-moi! Les souvenirs se brouillent, se mélangent et me torturent; ils deviennent des personnes de chair, ils me font mal, si mal, terriblement mal. Je tente de crier, je crois que je crie, la drogue me rend fou, mais c'est aussi le seul moyen de calmer cette insupportable écorchure qui fait saigner mon cœur... Je reprends une dose. Je vais y arriver, ça va aller. Je vais réussir à atteindre ce nirvana d'indifférence qui me permet de rester sur terre. J'ai chaque soir plus de mal à annihiler mon âme et mon passé, mais je finis toujours par ne plus rien éprouver. Pourtant ce soir, tout est plus violent, comme décuplé à la puissance mille. Le passé me revient en pleine face. Andreas... Je soupire son nom, je ne peux pas m'en empêcher. Les larmes coulent et brillent sur mes joues, elles sont salées et intarissables, je croyais pourtant la rivière de mon cœur totalement asséchée... elles me ravagent les joues et entraînent le maquillage noir que je porte, que j'ai toujours porté, comme un masque protecteur de mes états d'âmes. Est-il donc réel de souffrir autant? Je me lève d'un coup, pris d'une impulsion soudaine. Si la drogue ne suffit plus, si elle est trop lente à m'anesthésier, alors à moi d'en finir. Je me jette d'un mur à l'autre de la ruelle, comme une balle qui rebondirait inlassablement entre eux. Je m'écorche et ressens immédiatement les bleus qui ne seront pourtant visibles que dans quelques jours... Je joue à ce jeu, celui de me détruire, depuis tellement longtemps. Mais je n'étais pas comme cela avant... Ils m'ont tout pris. Anéantis. J'avais tendance à me pencher au-dessus du néant, ils m'y ont poussé. Et je suis loin d'être capable de me relever... C'est pourtant ce que je fais. Pour m'élancer à nouveau, pour ressentir encore l'irrésistible douleur physique, tellement plus supportable que l'insurmontable plaie béante de mon cœur. Je m'élance, encore, toujours, sans arrêt, dans un rythme si régulier qu'il pourrait presque passer pour quelque dangereuse danse... Chaque centimètre de ma peau s'écorche sur les murs, et leur surface rêche et dure va jusqu'à déchirer mes vêtements, pourtant neufs de cette après-midi... Par endroit, je sens un liquide tiède couler le long de la peau écorchée, mais même en percevant le sang, je ne parviens pas à arrêter de me violenter, lancé que je suis dans un inévitable processus d'autodestruction. Je sens pourtant mes forces me quitter, et c'est porté par l'amertume et le désespoir que, dans un ultime effort, je m'élance une dernière fois avant de m'effondrer brutalement sur le sol. Je soupire. Ca y est. Je suis bien. Je ne pense plus. Mes muscles endoloris et les écorchures que je me suis faites sont les seules choses qui m'accaparent. La douleur est là, présente dans chaque fibre de mon être, raisonnant à tel point que seule reste l'immensité de la fatigue qui alourdit soudain mon corps. Dormir. Ne plus penser. Dormir. Ne plus souffrir. Dormir...

Au cœur de la nuit, mes yeux s'ouvrent soudainement, pour se retrouver confrontés à l'obscurité, au noir total. A la sensation d'un vertige étranger et infini qui, s'il ne terrasse pas mon corps déjà affalé au sol, m'emplit jusqu'à faire céder la moindre des barrières de protection de mon esprit. Penché sur le côté, un soubresaut m'agite et je vomis, inutile geste de protection de mon corps pour expulser les substances destructrices sans doute déjà présentes dans mon organisme. Je ne cherche déjà plus à lutter lorsque vient une nouvelle vague de vertige, et la laissant me porter loin de tout, je sombre.


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